Une découverte majeure à Chandar (Russie)
Une carte en relief de plus de 120 millions d’années
Interview du Professeur Alexander Chuvyrov par Adriano Forgione
jeudi 19 février 2004 par Jacques Keystone
Fin avril 2002, la Pravda a annoncé la découverte à Chandar, village de Russie, d’une carte en 3 D remontant à 120 millions d’années. L’auteur de cette découverte, Alexander Nikolaevich Chuvyrov, Professeur de physique à l’Université de Bashkiria à Ufa, en Russie, a stupéfait les journalistes et les scientifiques du monde entier en avançant cette incroyable datation. La carte confirmerait donc l’existence d’une civilisation avancée à une époque où le monde était dominé par les reptiles géants. En fait, le premier hominidé, le Proconsul, remonte à 20 millions d’années. Une telle datation, si elle est confirmée, pourrait bien réécrire l’histoire de l’humanité et donner foi aux partisans de la très grande ancienneté de notre espèce.
J’ai été surpris que Chuvyrov soit un universitaire, un érudit estimé -statut qui confère une certaine valeur au contenu des communiqués de presse. Il n’y avait qu’une seule façon d’en savoir plus sur cette affaire et de dissiper tous les doutes suscités par cette annonce : inviter le Professeur Chuvyrov à donner une conférence de presse en Italie. C’est ce que j’ai fait. Ce qui suit est la transcription de l’interview que j’ai réalisée de lui.
Adriano Forgione (AF) : Professeur Chuvyrov, comment en êtes-vous venu à participer à ces recherches ?
Alexander Chuvyrov (AC) : Cette découverte fut fortuite, comme le sont la plupart des découvertes dans le domaine scientifique. Avec mon équipe, j’étudiais l’identité culturelle des peuples de l’Oural. On essayait de découvrir le cadre historique de ces peuples, qui ont laissé des traces visibles dans toute la Russie, en remontant jusqu’au 15ème siècle étant donné qu’il n’existe aucune étude systématique sur le sujet. Malheureusement, je n’ai pas réussi à trouver un directeur impartial pour le projet car tous les spécialistes que j’ai contactés étaient trop influencés par leurs propres idées ou celles de leurs collègues. J’ai donc décidé de diriger le projet moi-même.
AF : Dans quelles circonstances avez-vous découvert la pierre ?
AC : L’objectif du projet était de découvrir des écrits appartenant aux peuples du sud de l’Oural. Nous pensions que l’un de ces groupes ethniques possédait peut-être un système d’archive
ou de chancellerie similaire à celui de la Chine. Entre 1998 et 1999, nous avons passé au crible tous les entrepôts de stockage des musées de la région et avons trouvé un certain nombre de sceaux et d’inscriptions sur des objets décoratifs et autres poteries, le plus souvent écrites en vieux chinois à l’aide des caractères jiaguwen. C’était une découverte majeure. Les inscriptions en jiaguwen laissent penser que les Chinois sont arrivés en Russie occidentale dans les temps anciens, ce que nous ignorions jusqu’à présent.
Durant l’été 1998, nous avons dressé un catalogue systématique de toutes ces découvertes et avons été très surpris de découvrir que les peuples de la région avaient parlé chinois jusqu’au XXe siècle. Actuellement, nous savons qu’il y a plus de 600000 inscriptions de ce genre dans les archives et les philologues devront déployer d’énormes efforts pour toutes les examiner. Pendant les deux années de notre projet, nous cherchions une bibliothèque gemmologique comme celles découvertes en Mongolie, au Japon et à Singapour. On a essayé de savoir ce sur quoi nous aurions dû concentrer nos recherches puis on a décidé de suivre un fil directeur : on s’est aperçu que les archéologues et les historiens pensaient que ce que nous considérions comme des caractères chinois étaient en réalité des décorations ou des dessins. J’ai donc décidé de partir à la recherche des gravures à l’eau-forte, décorations ou dessins figurant sur les mégalithes.
Fin 1999, nous avons trouvé dans les archives une liste des monuments du sud de l’Oural répertoriés entre 1920 et 1921. Les textes étaient des notes rédigées par les scientifiques qui étudiaient le sujet à cette époque. Ces notes ont révélé d’importants indices relatifs à l’existence de six pierres sculptées de la région d’Ul-finca ou de la rivière Karadele -terme signifiant la « rivière noire » dans le langage local. Elles disaient que ces pierres comportaient des gravures à l’eau-forte et des décorations si complexes qu’il était impossible de les reproduire sur papier. En outre, les notes faisaient état de deux stèles situées à 12 kilomètres du premier emplacement. Nous avons baptisé la zone décrite par ces documents Pisanicy, nom russe désignant un endroit comportant des pétroglyphes. Àce stade, nous disposions d’assez de documents pour poursuivre notre investigation, c’est pourquoi, fin 1999, nous sommes partis à la rechercher des six blocs de pierre. AF : Comment avez-vous réussi à découvrir le premier bloc de pierre sans indices supplémentaires ?
AC : Au départ, nous avons utilisé des téléobjectifs et des hélicoptères mais en vain. Après avoir lancé six expéditions infructueuses, j’ai eu l’idée de contacter le plus vieil habitant de Chandar, un village voisin. Je l’ai rencontré à l’endroit où Schmitt avait fait son expédition dans les années 1920. Il m’a montré des objets que Schmitt et d’autres archéologues lui avaient laissés. Lorsque je lui ai demandé s’il savait quelque chose sur les blocs de pierre que nous cherchions, il m’a répondu que l’une d’entre elles se trouvait sous le sol de sa maison,
Elle servait de base à l’escalier mais son poids la faisait s’enfoncer dans le sol, provoquant un suintement. C’est pour cette raison qu’il souhaitait la détruire et en faire du gravier. Nous avons donc échangé le bloc de pierre contre un camion de gravier et lui avons promis de lui construire toutes les routes dont il aurait besoin.
J’y suis ensuite revenu avec bon nombre d’étudiants et quelques archéologues et physiciens. Il nous a fallu deux jours pour l’extraire. La pierre mesure 148 centimètres de haut, 103 centimètres de large et 16 centimètres de profondeur. Pour la soulever, nous avons utilisé la méthode égyptienne, en la faisant rouler sur des cylindres en bois. Nous l’avons emportée au laboratoire pour la laver et avons immédiatement pris conscience qu’il s’agissait de la carte d’une vaste zone.
Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai su dès le départ qu’il s’agissait d’une carte - une carte en 3 D. Une telle chose ne pouvait tout simplement pas exister parce qu’on l’avait trouvée dans une petite Vallée où les premières routes n’avaient été construites que dix ans plus tôt. Auparavant, on ne pouvait s’y rendre qu’à bord de petits bateaux parce que le village est entouré de marécages. On y trouve encore aujourd’hui quelques maisons en bois, appartenant à ceux qui surveillaient le cours de la rivière. Personne n’a donc pu l’apporter jusque-là il y a 100 ans, date où la carte a été découverte.
AF : En quoi a consisté l’étape suivante ? A-t-on pu procéder à une analyse scientifique de la pierre ?
AC : Dans un premier temps, juste après la découverte de la pierre, elle a été volée et certains fragments ont été perdus pour de bon. Le bloc de pierre est tombé dans une rivière et les parties manquantes n’ont jamais été retrouvées. Si l’on regarde des photos de la carte, il est évident qu’il en manque une partie. Lorsque nous l’avons découverte, elle était intacte. Quoi qu’il en soit, avec l’aide de la police locale, nous l’avons emportée au laboratoire afin de l’examiner
J’ai commencé par travailler dessus avec une équipe de mathématiciens, archéologues, philologues et physiciens et il est apparu que le bloc de pierre était formé de trois couches : une couche inférieure de dolomite, une couche centrale de diopside et une couche supérieure de porcelaine.
Au cours de l’analyse, nous avons parfois dû demander l’aide d’autres institutions. La carte couvrant une vaste zone, le premier gros problème a résidé dans l’analyse paléohydrologique, parce qu’il n’existe aucun spécialiste capable de traiter les informations relatives au sud de l’Oural. Une partie de l’analyse a été réalisée en Chine, sur les idéogrammes sculptés dans la pierre, les principes cartographiques et la porcelaine de surface. L’objectif était de comprendre le procédé qu’avait subi la pierre, au vu des liens avec la Chine dont nous avons parlé. un peu plus tôt.
AF : Pouvez-nous nous donner plus de détails sur les matériaux des différentes couches de la pierre ? Ce pourrait être la clé pour comprendre l’ensemble de la carte...
AC : Comme je vous l’ai déjà dit, la carte comporte trois couches. La première est une couche de dolomite. La seconde est une couche de diopside, sur laquelle sont gravés les canaux, les rivières et tout ce que la carte représente. Afin d’éviter les reflets, le diopside a été recouvert d’une couche de porcelaine de seulement deux centimètres d’épaisseur. C’est le fruit d’une technologie avancée. Pourquoi de la porcelaine ? La réponse est venue du Département de cartographie de l’Université de Moscou.
Pour fabriquer une carte en 3 D, il faut que la surface soit blanche et parfaitement modelée de façon à ce qu’en la lisant on ne soit pas induit en erreur par des ombres et des reflets. C’est exactement comme cela que l’on fabrique les cartes en 3 D aujourd’hui. Il est surprenant que cette technologie ait déjà été utilisée dans un passé aussi lointain. Le processus de dolomitisation s’est achevé il y a 250 millions d’années. Les coquillages fossilisés sont vieux de 180 millions d’années et n’ont absolument pas pu être incorporés dans la couche de diopside à une date ultérieure. En outre, ce type de coquillage n’existait pas dans cette région de l’Oural.
Nous avons prélevé des échantillons de dolomite à différents endroits de la carte afin de procéder à une analyse chimique et radiographique de la structure. La dolomite est un matériau extrêmement homogène mais, dans la couche de dolomite de la carte, il n’y avait pas de quartz - alors qu’on en trouve habituellement - ni de silicate de magnésium.